Passage du passereau
Le passereau est un passer-moineau, un petit oiseau de l’ordre de ceux qui passent et traversent, fuselés, la vie précaire.
Le passereau est éphémère, il est passe-fleur, passiflore, passionné comme l’anémone qui vibre en plein vent d’étincelles.
Ses poumons sont d’oiseau éphémère, les bronchioles se ramifient dans le tissu pulmonaire, le traversent et se prolongent par des sacs aériens qui sont tissus d’or et de songes dans le souffle des nuages.
Le passereau passe le souffle dans le syrinx de son chant comme message d’un ciel si proche et comme essor de passage.
Volatilia, matière volatile évaporée dans la fibre du monde, il vole dans l’obscurité de la nuit comme dans la clarté du jour.
Il taille dans les ailes et les airs jusqu’à trouver la forme juste d’un anniversaire de feuilles.
Il est le souffle de la nuit qui se heurte contre la paroi des fleurs.
Il tourne tout autour de la table des morts et, en veillée funéraire, s’incruste dans le vitrail.
Son œil de verre rouge irise la couleur.
Sur la neige ne demeure que l’étroite empreinte de sa fine patte de passereau posée sur le mouron des tombes.
Il passe oiseau éphémère comme la précarité de l’amour.
***
Pour moi, le passereau est bleu, mais je ne sais pas trop sa couleur. Il est bleu comme l’oiseau d’enfance et souffre douleur d’amour.
Pour moi, le passereau est rouge, mais je ne sais pas sa couleur, ensanglanté des stigmates de pluie, il traverse les larmes.
Pour moi le passereau est gris, car je sais trop bien sa couleur. Il passe en glissade légère les ailes étendues, discret, il passe dans la vie précaire.
Et dans les plantes aromatiques, la myrrhe d’un étrange berceau, il passe et renaît, passereau, oiseau de cendre et de lumière.
Extrait de Passant de la lumière (Editions de l’Arrière-Pays, 2008)
Béatrice Bonhomme Variations du visage et de la rose
Comment êtes-vous venue à la poésie et quand ?
La poésie pour moi est concrète. Le mot est physique, concret. Il est dans un rapport direct au corps. Mon rapport à l’écriture, à la création passe par le corps, par l’apprentissage de la lecture. J’ai reçu en même temps le monde et les mots. J’ai appris à lire dans la nature, à travers le corps de ma mère. Je pense que l’écriture passe pour moi par un rapport au corps maternel et à la mère réelle. Celle qui m’a appris à lire au milieu de la nature, celle qui a fait que les mots étaient concrets, pleins, celle qui a fait que les mots, étaient de la matière corporelle, élémentaire, faisaient partie d’un monde. Les mots pour moi, enfant, ont été une façon de toucher le monde. Entre les mots et les objets, les êtres du monde, il n’y avait pas de distance, pas d’espace. J’ai appris à lire au milieu des herbes de la colline niçoise et lorsque j’ai réussi à déchiffrer le premier mot du livre, j’ai cru que par ce mot, je possédais la matinée pleine de lumière, les herbes rousses sur la colline, la chaleur grésillante des sauterelles, c’est comme si j’avais possédé le monde, que le monde était venu se poser sur la page du livre. C’est pourquoi les mots ont toujours été pour moi, comme une matière de vie. Lors de la lecture, les mots devenaient de la couleur et de la lumière. Je me suis alors tournée vers les mots qui m’ont d’emblée passionnée. Le fil déclencheur de l’écriture, la première expérience, a été celle de l’apprentissage de la lecture dans les collines niçoises dans les herbes brûlées de chaleur, un petit rosier aux fleurs sauvages et roses, des églantines peut-être, dont je sentais le parfum à côté de moi.
Après cet apprentissage très physique, concret de la lecture, très tôt dans ma vie, j’ai eu envie d’écrire le mieux possible, le mieux que je le pouvais. L’écriture, c’était mon être au monde, ma façon d’exister dans le monde et d’être moi-même en rapport, en lien, en échange, en relation avec les autres. Je n’avais pas d’autre moyen, c’est celui que j’ai choisi pour être en lien avec le monde et les autres. A 5 ans, j’écrivais un tout petit journal avec obstination, plus tard j’ai voulu écrire un roman qui racontait l’histoire d’une famille. Je ne l’ai jamais fait. Ma mère me donnait tous les jours une reproduction d’œuvre sur carte postale et me demandait de rédiger un petit commentaire. C’était mon travail de la journée. L’unique, en fait. Je n’allais pas à l’école jusqu’à 10 ans. Les mots, je les croyais vivants comme les tableaux et la musique. De ce fait, pour moi la poésie est physique, elle est liée au corps, au souffle, à la respiration, tout comme la calligraphie ou la peinture. J’ai publié mon premier texte dans une revue en 1986.
Comment définissez-vous la poésie ?
J’ai choisi l’écriture poétique parce que, pour moi, la poésie est la forme la plus proche de la pensée impersonnelle et anonyme, tournée vers l’altérité. Ce qui est partageable en poésie, c’est paradoxalement ce qui est le plus singulier, notre émotion sans mesure commune mais qui devient commune par les mots de la poésie. Comme si le plus incommunicable devenait le plus commun et inversement. Liée à mon histoire personnelle, à ma vie la plus intime, la poésie est pourtant une traversée impersonnelle et peut ainsi être partagée par tous. Loin de nous enfermer dans la sphère du sentiment personnel, le lyrisme nous projette vers l’autre. Comme le dit Philippe Beck : « Le moment où le moi se dit c’est un moment impersonnel […] le moment où l’amour se dit de façon intense, serrée, tenue, c’est un moment impersonnel, un moment d’impersonnalité paradoxale ». Lorsque j’écris en poésie, je traite d’archétypes comme ceux du corps souffrant, ou bien de l’amour, de la maison abandonnée, du deuil. Ce sont des choses partagées par tous. Dans la poésie, d’après moi, il n’y a plus le déroulement narratif, c’est une intensité lyrique impersonnelle, le je et le tu restent anonymes, le tu c’est la voix du poème, l’autre en soi, tout le monde, n’importe qui. Nous touchons là au paradoxe qui veut que le plus incommunicable soit aussi le plus commun et inversement. Il s’agit d’amener l’absolu singulier dans les parages du commun.
La poésie est pour moi un moment partageable parce qu’impersonnel. Enfin la poésie me paraît capable de transmettre des comportements, une éthique, une philosophie, des rituels humains, des relations aux éléments, qui gardent toute leur importance. Elle permet, me semble-t-il, de restaurer le lien, le lien à l’autre, le lien au monde.
Information sur Béatrice Bonhomme
Dessins de Franco Blandino