CARLO IMBONATI
La Résignation
Le ciel me fit aussi naitre dans l’arcadie.
La nature, sur mon berceau,
Jura de rendre heureux tous les jours de ma vie:
Mais la parque a déja presqu’usé mon fuseau,
Sans que, d’un avenir si beau,
La douceur ait par moi jamais été sentie.
Je n’ai connu que la douleur;
Et déja de mes ans l’aurore fugitive,
S’eteignant sur la sombre rive,
A laissé loin de moi l’espoir consolateur.
Me voila devant toi, fantôme redoutable,
Obscure et vaste eternité!
Je te remets intact ce gage délectable ,
Ce gage de félicité,
Présent/ trompeur, dont mon coeur misérable
Démentit tant de fois le charme si vanté.
Juge inflexible, entends ma plainte;
Puisque la Renommée a placé dans tes mains
Ce Sceptre impartial qui, sans haine et sans crainte,
Doit ou récompenser ou punir les humains.
Près de toi, disoit’on, le crime et son audace
Connoitront le tourment d’une juste terreur;
L’innocent malheureux devant toi trouvant grace
Des caprices du sort absoudra la rigueur.
Dans ton sein déposant ses peines,
Le proscrit trouvera la paix,
Le captif oublira ses chaines
Que remplaceront tes bienfaits.
Des plaisirs séducteurs l’impétueuse ivresse
Emportoit de mes sens le printems agité;
Un dieu, c’étoit sans doute un dieu de vérité,
“Livres-moi, m’a-t’il dit, ta brillante jeunesse,
“Et des mains de l’éternité
“Tu recevras, un jour, le prix de ta Sagesse.”
J’obéis, et de la vieillesse
J’usurpe avant le tems la grave austérité.
“Livres-moi l’amante chérie
“Qui seule respire en ton coeur;
“Lorsque tu franchiras les bornes de la vie,
“Des siècles de plaisir vengeront ta douleur.”
Sacrifice cruel! j’arrachai de mon âme,
J’arrachai Laure pour jamais;
J’étouffai mes sanglots, et vainqueur de ma flamme,
Laure pour t’oublier, chaque jour je mourais.
Alors me dit le dieu: “tu vois vers ce rivage
“Le tems s’enfuir d’un vol précipité.
“La nature toujours à son vaste ravage
“Ne sauroit dérober sa grace et sa beauté.
“Quand les cieux, la terre en ruine
“Tomberont sous ses coups puissans,
“De ma consolante doctrine
“Tu pourras recueillir les effets bienfesans.”
“À quel frivole espoir se livre ta foiblesse,
“S’écrie, en me raillant, un monde corrompu;
“Le mensonge aux tyrans vendu,
“T’enveloppant de son ombre traitresse,
“Domine insolemment sur ton coeur abattu.
“L’erreur, des siècles révérée,
“A de la vérité renversé les autels.
“Toujours elle fut consacrée
“Par la foiblesse et l’effroi des mortels.
“Crains ces fausses lueurs que t’offre la puissance.
“Ce phare insidieux qu’ont allumé les rois,
“C’est pour aider à l’impuissance
“Et soutenir l’effort de leurs mourantes lois.
“D’un avenir trompeur poursuivant la chimère,
“Ton coeur des plaisirs vrais repousse les attraits.
“Quel mortel cependant retrouvant la lumière
“T’a des muets tombeaux dévoilé les secrets?
“Va, cette éternité que ton orgueil réclame,
“Ce fantastique asyle où renaitront les morts,
“Ils sont le fruit honteux des tourmens de ton ame,
“Ils sont le fruit de tes remords.”
J’ai vu le tems S’enfuir d’une aile trop légère;
La nature entrainée au cours de ce torrent;
Nul mortel du tombeau n’a franchi la poussière,
Et cependant, ò dieu, ma foi vive et sincère,
S’est attachée à ton serment.
À la voix des plaisirs j’ai fermé mon oreille;
D’un siècle perverti j’ai bravé les discours.
Aujourdhui, dieu puissant, si ta justice veille,
Fais de jours plus sereins pour moi naitre le cours.
“Ecoute-moi repondit un génie
“Il est deux Soeurs dont le pouvoir
“Embellit des mortels et console la vie;
“C’est la jouissance, et l’espoir.
“Nul ne Sauroit aux deux presenter son hommage.
“Qui ne peut croire doit jouir.
“Celui qui de la foi peut Subir l’esclavage,
“S’il est prudent, doit s’abstenir.
“N’as tu pas espéré? quelle autre récompense
“Voudrois-tu réclamer de moi?
“Ton bonheur étoit dans ta foi;
“Tu fus payé par l’éspérence.